Coup de gueule ... de loup

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On a tué le loup. Décrété ennemi public numéro un à l'issue d’un procès moyenâgeux intenté par des fonctionnaires qui comptent les moutons égorgés – le fameux quota – en baillant sur leurs dossiers. « Les statistiques adoucissent la vie » dit ironiquement une pub fédérale. On a tué le loup, comme, alors, on assassinait Farinet, l’épatant faux-monnayeur qui régalait tout le petit peuple de ses piécettes d’or et dont la vie libre et follement subversive ne subsiste maintenant que dans un folklore de pacotille. Même nos religions, ces joyaux, sont devenues un divertissement pour nantis (Léopold Sédar Senghor) et leurs fidèles assistent sans broncher à la mise à sac de tout un terroir, de tout un pays idolâtrant le dieu Dollar.

C’est dans ce contexte, que par chance, comme déboule la folie, surgit le loup. Franchement, n’a-t-il donc rien à nous dire, cet animal venu du fond des âges ? Fondateur de civilisation comme la Rome antique de Romulus et Rémus, allaités par une louve? L’a-t-on oublié ? Plutôt que de l’abattre froidement n’aurait-on pas pu lui parler ? Le dompter, l’apprivoiser, comme l’a fait François d’Assise à Gubbio ? Après tout il est aussi une créature de Dieu. Donc frère. Entre enfants d’un même Père on devrait pouvoir s’entendre. Et si on en faisait un saint Loup qui sauverait nos âmes errant dans un Heidiland artificiel ? Il serait le digne successeur des saint-bernard, dont la présence au Col, aux côtés d'une poignée de chanoines-résistants, n’est plus que folklorique.

André, vigneron franciscain valaisan de mes amis, avait soigné puis relâché un étourneau pris dans ses filets de vignes. Depuis, il constate une baisse significative des dégâts opérés par ces petits chapardeurs du ciel. Ne pourrait-on pas demander à un François de ce temps – il en existe – de prêcher aux loups ou aux oiseaux ? Quand engagera-t-on des poètes dans des projets de poésie appliquée, plutôt qu’ils ne meurent de leur plume à petit feu, quand ils ne sont pas, comme le loup, assassinés avant. La culture est assignée à résidence dans des théâtres aseptisés où les spectateurs se rendent en rangs d’oignons, comme à l’école, à l’armée ou à l’église. La poésie est enterrée dans des livres que l'on n'ouvre – comme on rouvre une tombe – que pour d’ennuyeuses et académiques analyses post mortem. La porte est étroite par où passe encore la vie. Etroite comme un col d’utérus ou le goulet de St-Maurice…

C’est une relation originelle et « amorisante» aux êtres, à la Nature, à Dieu, à la création toute entière que l’on nie dans cette chasse au loup. C’est le Valais de Marie Métrailler, celui de Maurice Chappaz que l’on profane ainsi. C’est l’Indien, l’enfant, le sauvage, le fou, le clown, le fauve sommeillant en chacun de nous qui meurent par ce crime contre notre animalité.

Gosses, Maman Folle nous apprenait La mort du loup, d’Alfred de Vigny, qui se termine ainsi :

Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur.
Il disait : « Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

Voilà ce que nous confie un loup agonisant. Aujourd’hui, je pleure la mort d’un loup compère poète.

Riex, le 11 août 2010, en la Ste-Claire,
Dominique Scheder